Dans les années 1980, le Centre de Calcul de l'Université de Montréal a développé (audacieuse nouveauté pour l'époque!) un système de messagerie nommé MU, qui permettait la création de groupes de discussion. Solange
a été l'un d'eux, où les participants laissent joyeusement tomber la pression, sous le couvert d'un pseudonyme.
Origine
Le nom
Solange provient de Solange Harvey, qui tenait alors un
Courrier du cœur dans un quotidien de l'époque. Au départ, quiconque faisant partie de ce petit groupe pouvait envoyer un message commençant par
"Solange, j'ai un problème!", suivi de la description d'une difficulté personnelle, réelle ou inventée. Chaque participant en recevait copie et pouvait fabriquer une réponse. L'originateur était alors gratifié en retour d'une collection de conseils, plus ineptes, farfelus et drôles les uns que les autres.
Les pseudonymes n'ont pas protégé l'anonymat des participants bien longtemps. Une sympathie, puis une amitié s'est progressivement développée entre les membres du groupe Solange, et nos missives se sont souvent éloignées du schéma initial, pour couvrir une grande variété de sujets et d'intérêts, avec la gentillesse et l'humour comme trame de fond. Encore aujourd'hui, plusieurs membres de Solange gardent contact, et se connaissent par leur surnom.
Membres de Solange
Il faudrait bien que j'essaie d'établir la liste complète des membres, mais je n'ai pas beaucoup de mémoire pour les noms. Oh, quelques contributeurs de
BONJOUR s'y sont retrouvés, mais on y discutait plutôt d'autre chose. Évidemment, jamais je n'oublierai:
- le zap (Denis Fortin)
- fog ou F-rond-G, en référence à l'opérateur de composition fonctionnelle (Francis Gendreau),
- cigit (Claude Goutier),
- ddn ou le docte (Jean-François Lamy),
- glem ou Gilles le Magnifique (Gilles Hurteau),
- le créateur en référence au roman Simulacron 3 de Daniel Galouye (Marc Feeley),
- bgirl…elle en référence au personnage de Bat Girl dans le film (Nicole Pigeon),
- il comme contraste avec …elle (Isabelle Leveau),
- 4@k!1$m ou cataclysme (André Tiphane),
- azor en référence au mouton noir dans le Seigneur des Alpages (Marc-André Parent),
- f'murr comme auteur du même,
- lireln qui fait référence au Pascal francisé par Olivier Lecarme mais aussi à la consonance Lyre-Hélène (Claude Cardin),
- tag ou encore tueur à gags, parce que ses plaisanteries tombaient souvent à plat (Marc Durand),
- geronne (Pierrette Bertrand),
- jynx (ou jinks?) (Jean-Yves Soucy),
- dragon soyeux (Serge Froment),
- iznogoud comme grand méchant vizir qui veut devenir calife à la place de Icule el Poussah (Bertrand Sénécal?),
- (François Gagnon),
- gudule,
- swap,
- Et sans m'oublier, icule en tant que suffixe diminutif tout usage (François Pinard).
Il y en a quelques autres que ma mémoire ne réussit malheureusement pas à retenir correctement. Ceux qui savent, aidez-moi à compléter cette liste!
Solange (je veux dire, les membres de Solange!) doit en théorie se rencontrer avec régularité, à tel jour et telle heure précises à chaque dix ans, an Wendy's sur Décarie ou, si ce Wendy's n'existe plus, à l'hamburgererie la plus proche. Je dois pourtant avoir l'information plus précise quelque part… Mais où?!
Citations de Solange
En classant de très vieux listings imprimés chez moi, j'ai retrouvé quelques citations que les gens de Solange s'étaient partagées, et que je répète ici. Les citations viennent d'ailleurs, bien sûr, mais ce sont de beaux souvenirs pour moi.
Vignault
Jamais les fleurs du temps d'aimer
N'ont poussé dans un coeur fermé
La nuit, le jour, l'été, l'hiver
Il faut dormir le coeur ouvert.
Gilles Vignault,
La navette, nov. 81
Lurette
Pour mieux apprécier ce texte, il faut en comprendre le contexte. Nous avions questionné 4@k!1$m, qui pensait alors à la prêtrise, si le fait de faire l'amour n'allait pas lui manquer. Il nous avait alors répondu qu'il pensait y survivre, et que toute façon, il n'avait pas fait l'amour depuis belle lurette.
Voici une vieille lettre que l'Icule m'adressa un soir de pluie.
"En ce moment, Belle Lurette apportait elle-même à 4@ une tasse de thé. C'était plus qu'une distinction, c'était une faveur. Il y a, dans la manière dont une femme s'acquitte de cette fonction, tout un langage; mais les femmes le savent bien; aussi est-ce une étude curieuse à faire que celle de leurs mouvements, de leurs gestes, de leurs regards, de leur ton, de leur accent, quand elles accomplissent cet acte de politesse en apparence si simple. Depuis la demande:
Prenez-vous du thé? —
Voulez-vous du thé? —
Une tasse de thé? — froidement formulée, et l'ordre d'en apporter donné à la nymphe qui tient l'urne, jusqu'à l'énorme poème de l'Odalisque venant de la table à thé, la tasse à la main, jusqu'àu pacha du coeur et la lui présentant d'un air soumis, l'offrant d'une voix caressante, avec un regard plein de promesses voluptueuses, un physiologiste peut observer tous les sentiments féminins, depuis l'aversion, depuis l'indifférence, jusqu'à la déclaration de Phèdre à Hippolyte. Les femmes peuvent là se faire, à volonté, méprisantes jusqu'à l'insulte, humbles jusqu'à l'esclavage de l'Orient. Belle Lurette fut plus qu'une femme, elle fut le serpent fait femme, elle acheva son oeuvre diabolique en marchant jusqu'à 4@, une tasse de thé à la main."
Cigit, 1984-03-21
Rostand
"Atome dérisoire, predu dans le cosmos inerte et démesuré, il sait que sa fiévreuse activité n'est qu'un petit phénomène local, éphémère, sans signification et sans but. Il sait que ses valeurs ne valent que pour lui, et que, du point de vue sidéral, la chute d'une empire, ou mème la ruine d'un idéal, ne compte pas plus que l'effondrement d'une fourmilière sous le pied d'un passant distrait.
Aussi n'aura-t-il d'autre ressource que de s'appliquer à oublier l'immensité brute, qui l'écrase et qui l'ignore. Repoussant le stérile vertige de l'infini, sourd au silence effrayant des espaces, il s'efforcera de devenir aussi incosmique que l'univers est inhumain; farouchement replié sur lui-même, il se consacrera humblement, terrestrement, humaintement, à la réalisation de ses desseins chétifs, où il feindra de prêter le même sérieux que s'ils visaient à des fins éternelles."
Rostand (J.),
L'homme. Collections Idées, Gallimard
Gigit, 1984-12-04
Raissa Maritain
Le lac
Le lac plein de maisons de verre
Bercé de leur masse fragile
Abri des âmes sincères
Qui l'habitent comme une île.
Depuis si longtemps en silence
La lune et l'étoile s'y balancent
Des rames entrent par les fenêtres
Des voiles agitées s'y reflètent
Et les âmes se souviennent
D'aventures très anciennes
Dans les maisons de la terre.
Raïssa Maritin,
Au creux du Rocher