jeudi 31 décembre 2009

Harpes et orgues

Cette histoire avait été racontée, il y a bien des années maintenant, du vivant d'Antoine Reboulot, lors d'une conférence musicale qu'il illustrait dans la chapelle Saint-Louis de l'église Saint-Jean-Baptiste. Je me souviens encore de ce rire bonenfant, intense et profondément amusé, très sympathique, de l'aveugle qui n'a pas l'habitude du regard de l'autre.

Marcel Dupré, dans son temps, était un organiste de renom, et populaire dans sa cathédrale. Les dames de la haute, qui ne connaissaient que bien peu de choses à la musique, se bousculaient pour s'assoir près de sa tribune durant les offices religieux qu'il accompagnait, et pouvoir parler à l'homme ensuite, ce qu'il endurait de bonne grâce, mais sans grand enthousiasme.

Un jour, l'une de ces dames demande: « Maître, dites-moi, nous voudrions savoir, à quoi servent les pédales de l'orgue? Pas celles sur lesquelles vous jouez, nous comprenons bien sûr qu'elles servent à faire de la musique, mais les grosses qui se trouvent au dessus? ». Elle faisait référence aux quelques pédales d'expression qui ouvrent ou ferment des cages qui enferment les tuyaux, et aussi la pédale de crescendo, qui enclenche tous les jeux de l'orgue de manière progressive, en une cinquantaine de crans prévus par l'organier. N'ayant pas le goût d'entrer dans toutes ces explications techniques, Marcel Dupré s'est contenté de dire: « Ces pédales, mesdames, servent à accorder l'orgue! ».

Plus tard, ailleurs, dans quelque salon galant, ces bonnes dames s'empressent de répéter l'explication reçue, et quelqu'un de leur dire: « Ces pédales ne servent pas du tout à l'accord de l'orgue, j'ai bien peur qu'on se soit simplement foutu de votre gueule, mesdames! ».

Un temps passe, et ces mêmes dames se retrouvent assises aux premiers rangs d'un concert de harpe. Comme il faut s'y attendre, avec un grand sourire intéressé, l'une d'elles demande: « Dites-moi, à quoi servent ces pédales, à la base de la harpe? ». Et le musicien de répondre, le plus honnêtement du monde: « Ces pédales servent à accorder l'instrument! ». Les dames se lèvent alors et après un vibrant « Celle-là, on nous l'a déjà faite… », s'empressent de quitter les lieux, offusquées, outrées…

mardi 15 décembre 2009

Chrome et Delicious

Me voilà avec Google Chrome depuis quelques jours. Je voulais tenter l'expérience d'en faire mon fureteur préférentiel pendant quelque temps, délogeant ainsi Firefox dans ce rôle.

Je prends goût à sa vitesse de démarrage, au point que j'ai déjà moins tendance à protéger sa permanence sur un bureau. D'ailleurs, Chrome disparaît lorsqu'on élimine le seul onglet restant. Cela me rappelle un peu Vim, que l'on démarre et quitte plus allègrement que Emacs. Dans ce sens-là, j'oserais dire que Chrome est à Firefox ce que Vim est à Emacs.

Chrome offre une bonne foison de greffons, mais comme je n'en utilisais pas plus d'une demi-douzaine dans Firefox, j'ai fait l'hypothèse que je pourrais tenter d'être parsimonieux pour Chrome aussi. Quelques greffons dans Firefox sont moins nécessaires dans Chrome, qui offre d'embrée des fonctionnalités équivalentes. Pour les autres, j'utilise souvent Delicious bookmarks (by Yahoo), et Dafizilla ViewSourceWith.

Je n'ai pas essayé tous les greffons pour Delicious que Chrome offre, mais un rapide regard m'a donné l'impression qu'ils sont moins intéressants que celui de Yahoo pour Firefox. Bonne chose, dans le fond, puisque quelque chose me chatouille depuis un bon bout de temps déjà dans Delicious, et cela m'a permis d'y réfléchir. Le service offert par Delicious est indubitablement précieux, mais avec plus de 5000 signets et autour de 800 tags, la gestion en est progressivement devenu balourde, lente et même ardue. Il est difficile de garder une nomenclature consistante dans le temps pour un grand nombre de tags. Puisque plusieurs tags s'évanouissent de la mémoire, les signets associés deviennent indisponibles à toute fin pratique. Je me rends compte que j'ai besoin de garder une vision plus globale et plus synthétique de l'ensemble, et de structurer tous ces signets bien au-delà de ce que peut offrir des collections de tags.

À la recherche d'une solution qui me soit confortable, j'ai décidé d'explorer l'idée suivante: carrément intégrer mes signets Delicious à mes notes Tomboy. J'hésite un peu. D'une part, Delicious procède d'une mise-en-commun des signets, ce qui en permet l'évaluation collaborative, et je m'éloigne de ce partage. D'autre part, s'il est facile de passer de Tomboy à Chrome en cliquant sur un URL, je n'ai pas encore d'outil qui me permette de rapidement alimenter une note Tomboy d'une référence provenant d'une page Web affichée dans Chrome, ou d'éliminer cette référence. Avec un peu de chance, je trouverai bien quelque chose. Pour l'instant, j'accepte le risque et je plonge!

(P.S. — 2009-12-21 Je me suis finalement fait une extension Chrome qui copie, dans la sélection, l'insertion Tomboy à faire pour la page courramment affichée.)

Alors voilà. En utilisant l'exportation massive offerte par Delicious, doublée d'un script Python qui transforme cette exportation en un fichier textuel dans un format très semblable à celui de mes conventions d'usage dans Tomboy, plusieurs heures d'édition m'ont permis de transporter tous mes signets. Bon, c'est peut-être un peu rude, ici et là; ce premier jet a été rapide et massif. Je raffinerai sûrement avec le temps, et bien plus facilement que ce que Delicious me le permet.

Pour éviter toute confusion, j'ai aussi résolu d'éliminer l'essentiel de mes signets se trouvant sur Delicious. J'imagine que la plupart des utilisateurs auraient simplement laissé traîner, mais j'ai ce petit côté anal qui cherche toujours à nettoyer. L'interface Web fourni par Delicious offre une élimination en vrac, mais chacun de ces vracs est limité à 10 signets. Avec plus de 5000 signets, cela me fait des vracs qui me semblent minuscules. Je me suis rabattu sur le greffon iMacros for Chrome, qui m'a bien servi ici, en particulier par la possibilité qu'il offre de boucler sur l'exécution d'un macro. C'est un peu lent au niveau des mises-à-jour chez Delicious, et on gagne en vitesse en réduisant l'affichage au minimum (par exemple en évitant l'affichage de listes explicites de tags). Au pur clavier et à la souris, ce travail de nettoyage s'annonçait mortellement fastidieux, et iMacros a sauvé la donne!